Où parfois je me rends compte qu’on est très bien lotis en France…
… Et qu’on ne le sait même pas (et qu’il faudrait qu’on apprenne à moins râler).
Pendant plus d’un mois, ma collègue indienne n’est pas venue au bureau. J’ai d’abord cru que c’était à cause des fêtes musulmanes qui viennent juste de passer, mais non, elle ne revenait toujours pas. Bon…
Et puis un matin, elle est revenue, toute pâlotte, amaigrie, et certainement pas en top forme.
Ben alors? Qu’est-ce qui s’est passé? Qu’est-ce que tu as?
Elle m’explique, je vous passerai les détails, mais en gros, elle vient de subir une hystérectomie et une ovariectomie (oooyy…! Mais elle est ok avec ça, elle a deux garçons jumeaux d’une dizaine d’année, donc ce n’est pas ‘si’ grave… Mouais, mais quand même, pour une femme ce n’est pas une petite opération…)…
…Sous anesthésie locale (non mais ça va pas???!!??? Pour une opération comme ça? C’est pas un grain de beauté qu’on lui enlève!)...
…Anesthésie qui n’a pas fonctionné correctement et au milieu de l’opération elle a senti la douleur et les médecins tailler là dedans et elle a dû leur dire (ohhh, mais BOR-DEL!!!)…
…Elle devait rester chez elle un bon mois, mais 3 semaines plus tard, la revoilà au bureau, pliée en deux devant son PC…
En temps normal, elle se lève tous les matins à 5h30, elle déjeune, elle prend un bus pour aller à la gare, puis un train, encore un autre train, puis encore un bus pour arriver 2H30 plus tard au bureau. Le soir, rebelotte, 2H30 pour le retour dans des transports bondés où les gens se frappent dessus et donnent des coups de coudes pour grimper dans les wagons. Depuis l’opération, pour éviter de se faire exploser les sutures à coups de coudes, elle n’a pas d’autre choix que de se lever à 3h30 le matin (de la nuit? Je ne sais pas, c’est le matin ou la nuit, 3h3O?) pour arriver à prendre des trains moins bondés et dans lesquels elle aurait une chance (je dis bien, une chance) d’avoir une place assise.
Elle fait cette navette avec lever à 3H30 depuis une semaine, et aujourd’hui, elle n’était vraiment vraiment pas bien. Toutes ses collègues indiennes lui disaient de rentrer chez elle, que ce n’était pas grave si le travail n’était pas fini, mais qu’elle s’en aille vite pour éviter le rush dans les trains et pour arriver tôt chez elle. Mais non, elle ne voulait pas, il fallait qu’elle reste pour qu’on le lui déduise pas une demi-journée de salaire de sa paie.
C’est là, vraiment, que je me rends compte que les congés maladies PAYES sont une vraie bénédiction.
N’importe quel médecin en France aurait mis sa patiente au repos complet jusqu’à son rétablissement et lui aurait interdit de faire 5h de transports en communs par jour.
N’importe quel employeur, même si honnêtement, ça ne l’arrange pas, n’aurait rien eu à redire et aurait dû attendre le retour de son employé(e).
La malade aurait reçu son salaire normalement et n’aurait pas mis sa santé et sa vie en danger pour aller travailler. Ici, on n’a pas le choix, si on veut que ses mômes aient à bouffer à la fin du mois, c’est à ce prix. Comme elle a épuisé son quota de jour de congés pour se faire opérer et sa convalescence, elle n’a plus de balance de congé pour l’ANNEE, (nous sommes en mars…) et toute journée non prestée ne sera pas payée. Sachant qu’elle vient aussi de se faire opérer, j’imagine qu’il y a une énorme facture d’hôpital à régler (SECU, SECU, c’est quoi la sécu???). Donc, pas question de ne pas travailler.
Et je suis très très très en colère contre ce système à la con, et aussi contre le bureau, qui même dans ce genre de situation, est complètement inflexible et ne peut pas laisser sa putain de journée à ma collègue. Aucune humanité. It’s the policy. Je sais bien qu’il y a des règles et que nous les avons acceptées en signant avec eux, mais ils ne sont même pas capables de faire preuve d’exception et d’une once d’humanité. Elle n’a pas un rhume bordel, on vient de lui enlever l’utérus et elle se tape 5h de transports pour venir bosser pour ne pas perdre le peu de salaire qu’on daigne lui donner!!!
Je suis colère, tu peux le constater. Et tellement impuissante face à tout ça.
Ma collègue n’est certainement pas un cas unique. Ici, on en revient toujours à ça, si tu es malade, c’est une grande catastrophe, car ça veut dire que tu auras moins (ou pas) d’argent à la fin du mois, mais il faut toujours manger, habiller les enfants, les envoyer à l’école, payer son loyer, ses traites, etc… Etre malade trop longtemps est un gros risque car on peut facilement perdre son emploi. Il y a tellement de monde ici que n’importe qui est remplaçable du jour au lendemain en un claquement de doigt, donc on s’accroche autant que l’on peut à son poste tant qu’on respire encore.
Nous avons acquis des droits et certains privilèges dans les pays occidentaux qui ont énormément de valeur. Quand on grandit avec, on ne se rend pas compte à quel point c’est un luxe de pouvoir prendre le temps de se soigner correctement sans avoir à se soucier d’argent ou de son travail.
Sans oublier que notre médecine nous donne aussi le choix de pouvoir tenter plusieurs traitements avant d’avoir recours à tes interventions lourdes et irréversibles comme pour ma collègue. En discutant avec elle, j’ai compris qu’elle aurait peut-être pu éviter l’opération, mais cela voulait dire entamer un traitement plus long et certainement plus coûteux. Donc si c’est cher, autant tout enlever madame, comme ça, on n’en parle plus. C’est l’argument qui pèse le plus ici pour les gens qui n’ont pas trop les moyens.
Tout ça pour dire que je suis en colère et que la situation de ma collègue m’attriste beaucoup. Je peux l’aider, cela va de soi, mais le système lui, ne changera pas. Il y aura une autre femme et un autre homme dans la même situation demain, et encore demain, et puis encore demain… Et rien ne se met en place pour changer tout ça. Immobilisme indien, quand tu nous tiens!