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30 novembre 2008

La vie reprend...

...Comme si elle ne s’était pas arrêtée pendant plus de 60 heures.

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Edit de la soirée:

Ce lien, que je viens de trouver chez Thomas. Un magnifique edito écrit par Suketu Mehta, (auteur de Bombay Maximum City) - What they hate about Mumbai, et qui rejoint un peu ce que je dis ci-dessous (du point de vue indien).

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Comme je l’ai déjà écrit hier, je refuse de rester chez moi  enfermée, à attendre un feu vert pour me lever de mon canapé. Donc samedi, puisque la situation semblait s’être arrangée et le calme un tant soit peu retombé sur le sud de la ville, j’ai pris un rickshaw pour Bandra pour retrouver une copine et boire un café, comme on l’aurait fait n’importe quel autre week-end.

Certes, ce n’est pas n’importe quel autre week-end. On s’en rend compte presque tout de suite. Il y a beaucoup moins de trafic, ça roule presque normalement en pleine journée. Premier ralentissement sur mon chemin : le Marriott. Complètement sécurisé, bunkerisé, des soldats retranchés derrière des sacs de sable qui surveillent les voitures, la mitraillette pointée sur tout ce qui bouge. A la limite, même si c’est impressionnant, ce n’est pas plus mal, parce que le Marriott est une vraie passoire (tout comme le Taj l’était, et j’imagine aussi l’Oberoi). En repassant devant l’hôtel, je me souviens d’une notre que j’avais écrite juste après l’attentat du Marriott à Islamabad en septembre et que je n’avais pas posté pour X et Y raisons parce que je ne la trouvais pas aboutie, peu pertinente, trop ‘expat mentality oriented’ mais que je vais finalement vous mettre telle quelle aujourd’hui, parce que justement, c’est le genre de personnes que je décris dans cette note qui ont été visées ces trois derniers jours.

J’ai l’habitude d’écrire des choses assez légères, de plaisanter et de présenter ma vie ici au 42ème degré. Je ne parle que rarement des aspects de la vie d’expat dans un pays en voie de développement qui me posent parfois des problèmes.

Il suffit de petits événements de rien du tout, comme la première pluie de mousson en juin, ou bien d’autres plus graves, comme l’attentat contre le Marriott à Islamabad la semaine dernière pour que tout à coup, la barrière mentale que je me suis construite ici s’effrite un peu et me laisse entrevoir la réalité.

Le soir de l’attentat au Marriott, je descendais sur Bandra pour la première fois depuis mon retour à Bombay il y a 3 semaines (believe it or not…!). J’avais eu le temps d’apercevoir les images de l’hôtel en flamme à la télé avant de partir, et encore une fois, j’ai maudit la connerie humaine. Mais la vie continue, je sors de chez moi!

En arrivant sur Juhu, gros embouteillage, trafic bloqué, mais pas à l’endroit habituel. Cette fois, c’était devant notre Marriott, le Marriott de Bombay, sous protection policière monstre, des fouilles systématiques de toutes les voitures (dessus – dessous – dans les coffres – sous le capot…). J’y vais souvent au Marriott. Je vais ‘régulièrement’ dans ce genre d’endroit ici. Je ne le faisais jamais avant d’arriver en Inde (pas les moyens, hé…). Tout à coup, je réalise que je vis quand même dans un pays assez instable, près à exploser (littéralement et figurativement) à la moindre étincelle. L’inde se tient droite et fière en ce moment, les marchés explosent, les gens investissent, consomment, mais les fondations sont chancelantes. Le moindre pépin, et tout peut s’écrouler

Arrivée à Bandra, je tombe sur une bande de copains français dans un bar branchouille d’expats. Ca faisait longtemps que je ne les avais pas vu, ça fait plaisir. Mais je ne sais pas, il y a quelque chose dans l’ambiance ce soir-là qui me gêne. Je ne sais pas comment expliquer. Et puis on décide de se rendre dans le night club d’un hotel 5 étoiles pour terminer la soirée. De toute façon, tous les bons clubs de Bombay sont dans des hotels de luxe.

J’étais là, je m’amusais, je regardais autour de moi, et ça m’a frappé (mais ce n’est pas la première fois en 9 mois, j’avais déjà fait cette constatation lors de mes premiers jours dans cette ville). Tous ces gens, indiens et expats confondus, faisaient la fête et dépensaient en une soirée l’équivalent d’un mois de salaire, si ce n’est plus, de personnes que je croise tous les jours…  (le petit gars qui fait le thé au bureau par exemple, ou le gardien de sécurité, ou celui qui appuie sur le bouton dans l’ascenseur…). Ca pue le fric. Et moi, dans mon portefeuille, j’ai des liasses de gros billets, de quoi faire vivre une famille pendant un mois. Cette liasse, si j’en ai envie, je peux la claquer en une soirée, paf, comme ça! Et recommencer le week-end d’après. No problemo! Certes, j’ai un statut un peu à part par rapport au Indiens très riches et aux vrais expats envoyés par les maisons mères occidentales, je travaille en contrat local, j’ai donc un salaire beaucoup moins important qu’un expat normal, mais quand même assez conséquent pour un salaire indien pour me permettre de bien vivre (et de fréquenter justement le Marriott et compagnie). Vivre comme ça à Bombay a un côté franchement indécent. Il suffit de regarder dehors et de voir ce qu’il se passe. Mais justement on le voit tous les jours ce qu’il se passe, et de temps en temps, se retrouver dans une bulle ou un cocon occidental et décadent permet de lâcher du lest.

Pendant mes vacances en France, on m’a souvent posé cette question avec un ton de reproche « mais comment fais-tu pour vivre, t’amuser et dépenser autant d’argent dans des futilités alors que tu es entourée d’autant de misère? Tu n’as pas de scrupules? Moi, perso, je n’y arriverai pas.» Ben, justement, si des scrupules, j’en ai eu, j’en ai, et j’en aurai encore. Mais j’ai aussi besoin de ma bulle d’oxygène de temps en temps, et cela veut dire dépenser de grosses sommes d’argent dans des brunchs, des restaus, des sorties et tout le tralala. Parce que parfois, manger des sabji et des aloo-gobi tous les jours, ben ça devient limite écœurant, et qu’un des seuls remèdes à cela, c’est un bon petit italien, ou un brunch, ou un steak! Est-ce que cela fait de moi une égoïste sans cœur et sans aucune compassion pour mon prochain? Je ne l’espère pas.

Il est difficile de concilier les deux cultures au quotidien.

Voilà. Hier soir, c’est cette même bande d’amis que j’ai retrouvé pour dîner. Nous avons très peu parlé des événements, je pense que nous saturons tous. En fait, on s’est tous retrouvé, on s’est dit un vrai bonjour, suivi d’un « vraiment content de te voir, vraiment ! Ca va ? (appuyé). Oui, oui, et toi ça va ? Tout le monde va bien, pas de problème de ton côté ? Non, non, mais je connais des gens qui connaissait des gens qui… Mais ça va. Ca va. ». On dédramatise un peu la situation avec de l’humour noir (il faut bien, soit on rigole, soit on pleure), mes amis de Bandra constatant qu’il n’y a jamais eu autant de touristes et d’occidentaux à Bandra que ces trois derniers jours et que franchement ça ne peut pas continuer comme ça (ben oui, vu que Colaba est zone de guerre, ils les ont envoyé vers le nord). Et on trouve que la blague des guignols est certes déplacée, mais quand même drôle…. (http://www.canalplus.fr/c-humour/pid1784-c-les-guignols.html  - émission du 27/11, à 1m54, juste après l’interview de M. Lama dont il faudra que je vous parle aussi un jour). Suis-je la seule à trouver que certaines photos du Taj sont aussi belles et dramatiques qu'une peinture de Turner? Suivi de la conversation classique en ce moment, « Alors, tu rentres pour noël ou pas ? ». Ceux qui rentrent ont l’air très content. Les autres font d’autres plans et prévoient leurs excursions en dehors de Bombay, comme si de rien n’était.

Ensuite, après le dessert, comme d’habitude, les portables commencent à sonner, les plans pour aller boire un verre commencent à tomber, et pour ne pas changer la valse des rickshaws commence. Le seul élément qui a été modifié hier, c’est le bar. Nous avons évité le bar habituel qui est d’habitude blindé d’expats pour un petit endroit en fait beaucoup plus sympa. On s’est tous retrouvé là, à discuter, à faire beaucoup de projets (beaucoup plus que d’habitude), et je voyais chez tout le monde une grande fatigue. Personne n’a vraiment bien dormi cette semaine. Tout le monde a usé beaucoup d’énergie. Cette semaine a été usante et éprouvante mentalement et physiquement. Mais nous sommes tous d’accord sur le fait que nous ne voulons rien changer à notre vie sur place. Nous allons être prudents, éviter évidement les endroits à risques, mais nous n’allons pas nous arrêter de vivre. Nous pouvons peut-être nous le permettre parce que nous habitons dans les quartiers nord de la ville. J’ignore à quoi ressemble le sud en ce moment, si les gens sortent, si la vie reprend son cours ou pas. Le sud et Colaba, on va éviter pour les semaines à venir, c’est certain. En tout cas, à Bandra hier soir, les restaurants et les bars étaient pleins, les gens sortaient et s’amusaient, comme s’il ne s’était rien passé…

Joseph_Mallord_William_Turner_012

Turner - The Burning of the Houses of Lords and Commons (1834)

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Commentaires
O
Merci pour ce témoignage.<br /> Avoir conscience et se soucier de ce décalage vis à vis du fric, et de ton statue un peu particulier dans un pays qui cherche à grandir, est plutôt un signe de lucidité.<br /> Tu participe toi aussi, au quotidien et à ta façon, avec ton envie de découvrir les coutumes locales, les crises de nerf aux différents guichets, a l'évolution des mentalisées...<br /> <br /> Courage en cette période difficile.<br /> @+
B
Contente de l'apprendre.<br /> Laissons un peu de temps à la ville pour panser ses blessures et cicatriser et aidons-la à se relever!
T
Dans le sud aussi, vie quasi normale... Le Leopold voulait d'ailleurs réouvrir à 16h pour montrer que Bombay compte bien gagner : la ville plie mais ne meurt pas.
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